▽ Il y avait une  larme dans ses yeux.

Tes hanches mentent. Les gens pensent qu'elles sont véritables. Tu tournes, tu manies ton feu, tu manies leur flamme, tu dirige leurs yeux. Tu les hypnotises. Tous t'applaudissent mais aucun ne sait vraiment pourquoi. Ils trouvaient ça beau ? Foutaises. Ils regardaient tous ton corps comme une simple attraction, un passe-temps, un rince-l’œil. Peut-être qu'ils trouvaient ça beau, finalement. C'était sans doute ça. Tu ne voulais pas qu'ils te trouvent belle. Pas quand tu travaillais pour eux. Ils s'en vont. Ils s'en allaient toujours. Parfois tu récoltais de l'argent. Là tu n'avais que quelques misérables pièces. Tu attrapes ta canette de Coca, en boit une gorgée avant de changer d'endroit avec tes économies en poche. Toute la journée tu n'avais fait que danser sous le soleil brillant. Toute la journée tu avais transpiré et ramassé que très faible gagne-pain. Ils ne savaient pas tout le mal que tu leur faisais. Tu t'en voulais pour ça. Détruire les gens, c'était ton boulot. Les endormir, les aveugler, c'était ce que tu devais faire. Leur sort t'importait peu, c'était le fait qu'ils t'applaudissent qui t'embêtait. Pourquoi applaudiraient-ils une criminelle ? Tu n'en avais que faire d'être désagréable ou agressive sauf que tu n'aimais pas qu'ils croient l'inverse.

La fin de la journée était proche et lorsque plus personne ne t'entourait, Alice sortit de la poche de ta jolie robe, en sueur. Elle fatiguait plus vite que toi, la pauvre petite. Tu inspires. Tu sens une goutte de pluie arriver sur ta joue. Tu expires et lèves la tête vers le ciel, plissant les paupières pour protéger tes yeux.

« Shizu ? On rentre ? »

Doucement tu redresses ta nuque, les yeux vers ta Shugo, une esquisse de sourire décorant tes jolies lèvres. Tu fermes les yeux, laisse la pluie s'abattre sur ta chevelure. Tu ne voulais pas rentrer. Pas tout de suite. Ce n'était pas encore l'heure de quitter ta tenue. Tu inspires. Tu pose une main sur la tête d'Alice, ouvres les yeux. Tu expires, approches ton visage du sien.

« Si tu veux retourner à la maison, la fenêtre de ma chambre est ouverte. Moi je vais rester encore un peu. »

Elle te sourit et sans un mot, file dans la direction de ton chez-toi. Tu jettes ta canette vide dans la poubelle derrière toi et retire tes chaussures. Tu avances au milieu de la grand-place, sur le bord de la fontaine et te mets à danser. Pas comme tu l'avais fait toute la journée. Tu avais vraiment danser. Parce que tu voulais le faire, pas parce qu'on t'y avait obligée. De toutes façons il n'y avait jamais personne qui passait par ici.

▽ Il y avait une  larme dans ses yeux.

Un bruit. Tu t'arrêtes, fixe directement l'endroit d'où ça provenait. Quel inconscient te dérangeait donc pendant qu'enfin tu te délivrais ? Tu n'aperçois que faiblement une ombre dans la nuit, comme tu devais sans doute l'être pour lui.. Ou elle ? Non. C'était une ombre masculine. Pas très baraquée mais masculine. Alors tu descends du bord de ta fontaine, tes yeux voyageant entre lui, son objet et l'arbre sous lequel il était abrité.. Un crayon ? Que dessinait-il ? Toi ? Ou le paysage ? Il n'y avait pas de paysage. Il y avait juste toi. Et une fontaine. Tes pieds nus embrassent le sol gelé de la grand-place tandis que tes cheveux mouillés volent telle le bas d'une légère robe, suivant le mouvement de ta tête. Tu attrapes doucement deux canettes de Coca dans ton sac ouvert à côté de la fontaine. La pluie sur tes jambes nues te gèle la peau, te glace le sang. Sauf que tu n'en montrerais rien. Parce que tu étais comme ça.

Tu t'approches de lui, lui tend une canette, la tête penchée. Tu ne regarderais pas son dessin. Pas encore. Tu voulais avoir un doute.

« Est-ce que tu étais vraiment venu pour dessiner la grand-place sous la pluie, en pleine nuit ? »

Tu esquisses un sourire. Pas pour te moquer, pas pour être méchante, encore moins pour être gentille, ceci-dit. Juste parce que tu pensais que c'était le bon moment pour sourire. Parce que tu avais envie. Parce que ce n'était pas la peine d'être encore méchante à cette heure-ci. Tu avais fini tes heures pour aujourd'hui.

▽ Il y avait une  larme dans ses yeux.

Tu hausses les sourcils. Ça commençait bien. Tu aurais bien voulu répondre, lui dire que c'était ton boulot.. Sauf que ce n'était qu'à moitié vrai. Ta journée t'avait fatiguée et tu n'avais pas envie d'être méchante. Alors il aura échappé à la mort cette fois-ci. Tu soupires, te contentes de reprendre ton air désabusé pour ta propre fierté. Tu attrapes un essuie dans ton sac et lui met sur sa tête. Tu ne te faisais pas d'idées, sincèrement, tu te posais juste des questions. Comme toujours, en fait.

« J'pas très envie que tu tombes malade par ma faute.. »

Tu t'assieds sur le banc, pose ton coude sur le dossier et penche la tête pour le regarder, ton oreille frôlant ton épaule. Tes yeux le détaillent, de haut en bas, le mémorisent. Tu te demandes si tu devais partir et lui faire oublier que tu étais là. T'effacer de sa mémoire. Tu vas de nouveau gâcher une potentielle connaissance ? Tu finirais par connaître tout le monde sans que personne te connaisse rien que pour ton père ? Tu n'avais pas envie de ça. Tu étais juste obligée.

« En général je danse le jour.. Et de préférence quand il fait beau. Lorsqu'il pleut, le feu avec lequel je danse ne prend pas la direction que je veux ou alors il s'éteint. »

Tu souris, ouvre ta canette et en boit une gorgée en inclinant légèrement la tête en arrière. Tu expires et repose ton attention sur ton interlocuteur, montrant ses dessins d'un bref mouvement de menton.

« Je peux voir ? »

▽ Il y avait une  larme dans ses yeux.

De tes si fins doigts tu attrapes le carnet. Tu faisais attention, comme il l'avait demandé. Tu penchas la tête, inclina doucement la feuille pour régler la luminosité. Tes joues rougissent. C'était toi, ça ? Tu baisses les paupières et adresses un regard tendre de sous tes longs cils à l'auteur, en lui rendant son oeuvre. Tu étouffes un rire, un peu gênée et laisses ta tête tomber en arrière, gardant les yeux ouverts.

Les gouttes tombent sur ta peau diaphane, dissimulant les si rares larmes qui s'éclatèrent au sol. Toi, tu n'avais jamais été belle. Toi, tu n'avais jamais été gentille. Toi, tu n'avais jamais été celle qu'on admire. Ce dessin n'était pas toi. Tu avais été émue de la vision qu'un inconnu lambda pouvait avoir de toi. Tu esquissas un maigre mais présent sourire. Restant dans la même position, tu penches la tête vers lui. Son côté enfantin t'arracha un sourire et sans doute étais-tu malade ou un truc du genre.. Parce que des joues rouges et un sourire, ça te ressemblait pas.

Le pire c'était que t'avais vraiment de la fièvre. Comme ça. Pouf.

« Une petite voix m'a dit de venir te voir. »

Tu te relèves, pose tes pieds sur le banc et tes fesses sur le dossier. En fait tu n'aimais pas te traîner et encore moins te sentir en état de faiblesse. Pourtant Dieu sait à quel point tu l'étais. Ah ça, fallait pas danser sous la pluie. Et encore moins regarder son dessin. Pourquoi est-ce qu'il t'avait fait cet effet ? A cause de sa beauté ? Tu baisses les yeux, l'air fatigué, tes jolies couleurs roses demeurant sur tes joues. Tu esquisses un sourire.

« J'ai pas choisi de venir te parler. Je me suis sentie obligée. »

Comme si le destin t'avait forcée. Parce que tu étais en manque de compagnie. Qu'il avait été la pauvre victime à se ramasser le sol. Qu'il était ton parfait contraire. Que ça t'avait amusée. Qu'il était plutôt mignon. Qu'il avait l'air con. Que ça t'avait fait rire. Que t'avais l'impression de le connaître depuis des millénaires. Parce que tu étais obligée d'aller lui parler. C'était ainsi. Pas autrement.

« C'est beau.. Ton dessin, je veux dire. »

▽ Il y avait une  larme dans ses yeux.

Doucement tu fermes les yeux, te laisse bercer par sa main contre ta joue. Tu inspires, tes larmes coulant sans retenue, réchauffant par la même occasion ses doigts si délicats qui un moment avaient ravis ta douce peau. Tu rouvres les yeux, le regarde dans les yeux. Ton maquillage coule, tu baisses tes paupières, tes cheveux passant devant tes yeux. Tu cachais ta gêne, ta faiblesse. Tu n'aimais pas être comme ça. C'était douloureux. Et puis pourquoi lui ?

Tu échappes un soupire bref, comme pour te protéger de ses prochaines paroles. Raté, tu pleures encore plus. Pourquoi est-ce qu'un passant complètement aléatoire devait dire ça ? Tu ne lui dirais pas. Pas tout de suite.. Mais la vérité était là; tu ne voulais pas qu'il soit juste un inconnu comme ça et tu ne voulais pas être rien qu'une danseuse sous la pluie dans sa mémoire. Tu avais beaucoup de fièvre.

« Je vais bien. »

Tu te mords la lèvre. Tu savais bien qu'il n'allait pas te croire. Donc que cherchais-tu ? Tu passes ta main sur la sienne, la garde contre ta joue, précieusement. Pitié qu'il ne te quitte pas tout de suite. Enfin tu avais quelqu'un qui te regardait. Qui te voyait. Qui t'observait. Peu importe qui il pouvait être, il était là. C'était ça qui comptait.

« Tu sais.. Ton dessin. Il est beau parce que tu l'as dessiné. Pas parce que ce que tu as dessiné est beau. »

Peut-être que tu étais la seule à saisir la différence, après tout. Tu relèves tes yeux trempés vers les siens. Tu te perds dans son innocence, te laisse plonger dans des songes infinis et incertains dont jamais tu ne voulais te libérer. Mais la réalité était là.

« Je n'ai jamais été belle. C'est pas mon rôle, celui-là. »

▽ Il y avait une  larme dans ses yeux.

Tes joues gardent leur couleur tandis que tu détournes le regard. Il n'avait pas le droit, de faire ça. Il n'avait pas le droit de t'approcher. La proximité t'arracha un frisson. Tu commençais à avoir des sueurs froides dans ta nuque accompagnant la pluie déjà glacée s'abattant sur vous malgré les feuilles censées vous protéger. Il se retire et tu clignes trois fois des yeux rapidement. Tu suis ses mains du regard.

« Hein ? Euh.. 090 2626 6871 mais.. »

Tu soupiras. Tu ne voulais pas rentrer. Pas ce soir. Qu'il quitte sa position avait été soulagement et douleur en même temps. Tu te perdais dans tes propres idées, tes pensées se bousculaient à l'intérieur de ta tête. Tu n'allais pas rentrer chez toi. Tu n'avais pas envie. Quitte à dormir dehors, tu dormirais dehors. Mais pas chez toi.

« Shizu. C'est mon prénom. » Tu penches la tête. « Et je ne comptais pas retourner chez moi ce soir alors.. Euh.. Yu .. ? Je te ferai signe de vie demain. Quand j'estimerai que tu seras réveillé. »

▽ Il y avait une  larme dans ses yeux.

Tu baisses la tête, te laisse faire, gênée. En fait c'était agréable. Mais tu préférais te battre en disant qu'il devait pas faire ça parce que tu le lui avais pas autorisé. Tu gardas cependant le silence. Il était préférable qu'il continue à sécher ta chevelure. Parce qu'avoue que tu trouvais ça cool, en fait. Et.. Hein ? Aïe !

« Je t'ai pas demandé ton av.. »

Et il te laisse pas continuer. Tant mieux. Chez lui ? Toi ? Dormir chez quelqu'un ? D'autre que Lucas ? Tu fronces les sourcils, l'écoute jusqu'au bout. De toutes façons t'arrivais pas à l'interrompre. C'était embêtant et en même temps, c'était mieux comme ça. Au moins tu n'essaierais pas de te justifier bêtement alors que de toutes façons t'avais rien à dire.  

« En fait t'as même pas ton mot à redire. » Qu'est-ce que je disais ?

Lorsqu'il avance alors, tu restes stoïque, stable sur ta palce initiale, jusqu'à ce qu'il se retourne et te tende la main. « Tu viens, Shizu ? » Ton visage se détend, tes paupières amplement ouvertes. Est-ce que tu allais vraiment le suivre ? Toi ? La grande et méchante Shizu ? Tu baisses tes paupières, lui adressa un beau regard sans t'encombrer de haine quelconque de dessous tes longs cils noirs. Tu lui prends la main.. et le suit. Gênée mais pas mécontente, tu sembles boudeuse et pourtant si passive. Tu suis ses pas du regard, tes paupières s'abaissant un peu plus à chaque seconde.

« T'aurais du me laisser là-bas, tu le sais ? » Un faible rire nerveux t'échappe. « Tu t'en fous de moi, je suis une inconnue, une meuf que t'as dessiné une fois.. Alors pourquoi tu m'accueilles ? » Tu commençais à dire de ces conneries..